29 October 2007

Escapade à Taghia

Ecapade à Taghia
en compagnie de Nicolas Kalisz



La capacité de faire du huit en grande voie, dégaines au baudrier, avec des points tous les sept mètres, ça interpelle ! Tandis que la plupart d’entre nous optimisent jusqu’au moindre détail : de la paire pré-mousquetonnée à la magnésie liquide, Nicolas Kalisz, lui, fait partie de ces grimpeurs capables de s’exprimer sur tous types de terrains, aussi bien en couenne, où il évolue très régulièrement dans le 7c+/8a à vue, qu’en montagne ou en terrain d’av’, pourvu qu’il y ait du caillou et de quoi se protéger, un peu…

On l’avait déjà remarqué pour son ascension du Salto Angel au Venezuela, en compagnie de Stéphanie Baudet et d'Arnaud Petit qui l’avaient apprécié pour son calme et sa détermination, particulièrement dans les longueurs difficiles à petites prises, pas commodes à protéger.

Nicolas revient de Taghia, une région du Haut Atlas marocain, encore relativement préservée du tourisme, bien que les nombreuses ouvertures récentes attirent désormais des grimpeurs du monde entier.

L'arrivée au gîte
L'école du village

La démarche de Nicolas n’est pas de « consommer de l'escalade  et de beaux paysages, mais vivre (…) des moments simples et inoubliables. »

En remontant la vallée vers Taghia depuis Zahouia Ahensal, il a quelques appréhensions : « Va-t-on retrouver ce que pour ma part je cherche aussi dans un voyage : une forme d'isolement, qui fait que les relations avec les locaux sont plus intimes et où l'on repart de l'endroit comme si on quittait un peu sa famille. »
Il a connu Taghia en 2003; à l'époque il n'y avait que Saïd et sa famille qui tenaient un gîte. « Said est quelqu'un de gentil, son visage respire la bonté et c'est avec plaisir que je le retrouve au milieu des siens. Fatima, son épouse, dégage calme et assurance. La famille s'est agrandie. »

Le gîte aussi s’est un peu agrandi et modernisé. « Pour résumer notre séjour, même avec quarante personnes, l'ambiance est toujours restée chaleureuse et conviviale. Tout le monde y a mis un peu du sien, comme dans une grande auberge espagnole.(…) Peut-être parce nous étions tous unis par la même vision du voyage et par ce que nous venions chercher à Taghia. »

Stéphanie et Arnaud avaient un projet d’ouverture à Taghia, et ont proposé à Nicolas de s’y associer, ainsi qu'à Titi Gentet et au caméraman Fred Ripper. « Tout le monde a adhéré, tellement ça avait l'air beau. Même si au début, on avait un petit doute sur le choix de l'itinéraire, mais vite effacé ! Pas facile de choisir où planter le premier spit d’une face de 800 mètres ! »

Ils rejoignent le pied de Taghia le 17 septembre et ils y resteront jusqu’au 12 octobre 2007. Leur projet est d'ouvrir un itinéraire en libre, sur spits, en équipant du bas, sur la plus haute face du secteur, une face nord de 800 mètres : le Tagougim'n'tsouiant. C’est en binômes et à tour de rôle qu’ils ouvrent toutes les longueurs. Cela permet de gérer la fatigue et les avatars (du type « tourista » !!) tout en maintenant le rythme de la progression. « Après deux semaines d'action, Babel est née. Un peu de nettoyage et de menus travaux de finition et c'est devenu grimpable.». Et c’est enfin le moment de décompresser et d’en profiter ! « Car ouvrir du bas, c'est surtout beaucoup de boulot, de l'attente au relais, l'impression bizarre de faire du bloc avec le stress du terrain d'av’, mais une fois le sommet atteint, quelle satisfaction ! »




Nicolas et Titi au bivouac de R14
Nicolas

Le sommet, c'est Nicolas et Titi qui l'atteignent le 1er octobre au soir. Après deux jours et demi d'aventures solitaires, ils ont la surprise d'être rejoints peu avant le dernier relais par deux jeunes bergères d'une douzaine d'années. C'est en leur compagnie que Nicolas perce les deux derniers points de son relais. « Démunies de quelconque semelle vibramX-mega-supergrip», un peu inquiet vu l'endroit, il se demande comment elles ont fait pour parvenir jusqu'à lui. « De toute évidence, elles sont descendues par un système de vires astucieux, intriguées par le vacarme de nos perfos».

Que dire du ressenti des grimpeurs confrontés à un tel décalage, entre des enfants qui semblent insouciants à leurs yeux, mais qui sont parfaitement à l’aise dans ce substrat dont ils sont nés, et par ailleurs des grimpeurs dits modernes et performants, bardés de matériel dernier cri, mais aux prises avec leurs angoisses de « conquérants de l’inutile » ?

Au même endroit, au même moment, tandis que les uns sont là presque naturellement, les autres réalisent un exploit, luttant contre eux-mêmes et la peur instinctive ; chacun incongru dans le regard de l’autre.

Les deux bergères qui les ont accompagnées jusqu'au sommet

Le lendemain, après une nuit agitée par les bourrasques de vents, une pluie bien drue vient les arroser durant la descente en rappel. Cela n'arrêtera pas Titi qui, pour son dernier jour, se donne jusqu'au bout et veut absolument finir le travail. Il passe deux heures sous la pluie, pendu au baudard, pour gratter de la terre dans les trous tandis que Nicolas est parti se mettre à l’abri au pied de la paroi !... « Ah, lala, ces savoyards !...»

Après ces deux semaines de labeurs, place à la grimpe à proprement dite. Avant d’attaquer les choses vraiment sérieuses dans Babel, Nicolas souhaite « reprendre ses marques » et répète avec Baptiste Rostaing (dit  « Frog ») Le fil della notte, une voie de Rolando Larcher, avec des longueurs soutenues jusqu’au 7c+, pour 550m d'escalade… C’est déjà du sérieux ! Sans trace de cake et avec des points tous les 6-7 mètres, il faut, comme souvent, chercher son chemin et l’expression « escalade à vue » prend tout son sens. Malgré ces contraintes, ils réussissent toutes les longueurs jusqu’à 7c et manquent l’enchaînement à vue intégral, à deux longueurs près.

Les mains de Nicolas après Sur le fil de la nuit


Puis, Stéphanie et Arnaud  profitent d'une  « amélioration intestinale » pour faire une séance photo et vidéo.  Pour Nicolas, trois jours de récup et il repart dans Babel depuis R3 (après le 2 sup.). « J'ai tout enchaîné jusqu'au R14. Mais les problèmes intestinaux (décidemment!) de mon compagnon de cordée, Baptiste Rostaing, nous ont empêché de poursuivre jusqu'au sommet. On avait également pour mission de récupérer les stats le plus haut possible, ce qui fait du boulot !! ». Vers 16h00, au pied de la longueur de la bougie, un peu à contre-coeur, ils décident de redescendre.

Arnaud Petit
Stéphanie Bodet dans L6

Lors de l'ouverture, Nicolas avait tout enchaîné à partir de R14. Aussi dès le lendemain, et malgré la fatigue, il retourne avec Arnaud faire à vue les longueurs du bas qui lui manquent. Il les trouve bien engagées et les cotations d’inspiration bien « savoyarde ». Traduire qu’il ne faut pas compter sur Arnaud et le chamoniard Titi pour fabriquer de toutes pièces des chiffres cadeaux. Et des spits, points trop n'en faut ! Un brin ironique, Nicolas signale que « les répétiteurs verront d'un seul coup, une certaine différence dans l'équipement des longueurs qui ont vu un roulement d'équipe malgré le souci constant d'équiper de façon homogène et logique, en tout cas selon notre logique ! Avec un espacement des points très aéré - jusqu'à huit mètres, y compris parfois dans les longueurs dures - , l’ensemble est bien sévère et sérieux. Nous voulions faire une voie qui nous ressemble, qui réunit les choses que nous aimons y retrouver : difficulté technique, bon rocher, variété, engagement. Je crois que nous y sommes parvenus. »


Le topo de Babel - Vous pouvez ouvrir la photo dans un éditeur et l'agrandir !


Cette impression sera d’ailleurs très vite confirmée par les premiers répétiteurs qui se tenaient à l’affût. La cordée Yann Guesquier-Didier Angonin qui avait pris ses repères en Sardaigne montre alors toute son efficacité. Yann enchaîne, j’oserais dire sans surprise, toutes les longueurs à vue, suivi de près par Didier qui chute ou se repose dans quatre longueurs. Il est important de signaler que bien qu’ayant profité des traces de magnésie laissées par les ouvreurs et tout en excellant dans ce style à petites prises, les deux grimpeurs confirment qu’il s’agit d’une escalade sérieuse et engagée. D’ailleurs, Nicolas aurait bien ajouté une demi-cotation à beaucoup de longueur. Vous voilà avertis !…


Le site de Nicolas Kalisz : http://perso.wanadoo.fr/nikoclimbing.com


Le site de Stéphanie et Arnaud : http://www.vagabondsdelaverticale.fr









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