11 January 2008

Albarracin

 

Bref, après quelques hésitations, principalement liées au fait que tous les Français nous déconseillaient de nous y rendre à Noël, nous avons franchi le pas. 1100km et quelques heures plus tard, nous voilà sur place.

Effectivement il ne fait pas chaud à 1300m d’altitude. Mais rien à voir avec le climat alpin à la même altitude : lorsqu’il fait beau on supporte le Tee-shirt pour grimper. C’est surtout la nuit que le thermomètre chute, ce qui importera peu pour ceux qui choisiront un bungalow au camping (4 ou 6 places à partir de 65€), voire une chambre dans l’un des nombreux hôtels (à partir de 35€ en basse saison à la meson del Gallo). Pour les petits budgets, sachez que le camping est strictement interdit sur le site. Par contre, la région étant particulièrement sauvage, il est facile de trouver un coin à quelques kilomètres en dehors du parc. Les camping-cars et autres voitures aménagées sont tolérés sur les deux parkings officiels, clairement indiqués par des panneaux de signalisation et d’information. Pour l’eau, vous trouverez des fontaines au village, sur l’aire de jeux avant le tunnel, ou dans les rues en hauteur. Pour la nourriture, à part le marché épique du mercredi, il y a deux supérettes, et des bricoles à manger dans les magasins de souvenir, mais tout cela est cher. Le mieux reste le supermarché (produits Auchan, vive la mondialisation) à Teruel, la ville principale à 30km. Pour finir, la boulangerie : il y en a deux, ouvertes de 9h30 à 14h, un point c’est tout. Du bon pain, et des viennoiseries basiques mais fort agréables qui rappellent les gâteaux de grand-mère, à tremper dans sa boisson préférée au petit déj. Pour les trouver, mieux vaut demander à un local, car elles sont cachées : sans devanture, on croirait rentrer chez l’habitant !

 

Puisqu’on parle des gens, sachez qu’on se trouve ici au cœur de l’Espagne, loin des côtes touristiques. Personne ou presque ne parle Français ou Anglais, et ce même dans les hôtels et restaurants du village ! Les grimpeurs sont très majoritairement Espagnols. La plupart sont madrilènes et viennent pour le week-end ou les vacances. Plus près de chez eux il y a de nombreux sites de bloc, mais sur un granite acéré et visiblement moins plaisant qu’Albarracin puisqu’ils sont prêts à faire plus de kilomètres pour s’y rendre. Ce sont donc des urbains qui travaillent, somme toute rien de très différent du bleausard travaillant sur Paris. Et tout comme le bleausard, l’Albarracinais a ses habitudes, ses clans, et sans que les grimpeurs soient des rustres, car ce sont des méditerranéens plutôt chaleureux, il n’est pas facile de s’intégrer.

Il nous a été finalement plus facile de nouer des contacts avec d’autres étrangers, car nous partagions le statut de « non locaux » : des Suédois, des Portugais. Dans tous les cas, l’ambiance reste conviviale, et nous n’avons jamais craint d’être dérangés pendant la nuit ou cambriolés sur le parking alors que la voiture était pleine de matériel et immatriculée à l’étranger.

 

Noël à Albarracin

par Jean Baptiste Jourjon

Il y a des noms dont l’évocation déclenche des fourmillements dans les doigts des grimpeurs de bloc. Albarracin en fait partie, surtout pour ceux qui, comme moi, affectionnent particulièrement le grès.

Malgré sa renommée, Albarracin ne dispose pas de topo exhaustif. Peut-être en raison des conséquences de la fréquentation sur un espace naturel de qualité : peintures rupestres ancestrales, falaises protégées pour la nidification des vautours. Sans parler de l’image véhiculée par ces grimpeurs hirsutes, se baladant dans la forêt avec leur carapace sur le dos, dormant dans leur camion et poussant des cris alors qu’ils sont accrochés au caillou : pas du meilleur effet pour le tourisme local plutôt huppé. Imaginez madame descendre de sa grosse berline pour une balade en forêt après la visite du village médiéval, se retrouver nez à nez avec M. Escalada en train de se brosser les dents sur le parking à côté du réchaud.

 

Le grès surgit au détour d’un virage : très beau, mais trop haut pour le bloc !

La falaise vue depuis Klem’s traverse

 

Revenons à notre sujet principal, l’escalade. C’est bien de cela qu’il s’agit, non ? Le grès est une roche qui convient parfaitement au bloc, car l’érosion fait émerger des « platières » des formes harmonieuses et variées, souvent très arrondies. Trous, réglettes, plats, tout y est. Certes moins de « robos » (plats) et de mouvements en compression qu’attendu, mais tout de même largement de quoi satisfaire le grimpeur. La couleur naturelle du rocher varie du rose au marron, passant par le rouge et l’ocre. Les lichens qui le recouvrent donnent des teintes tirant localement sur le gris, le vert, le blanc.

 

C’est un grès compact qui compose la plupart des secteurs explorés. Le grain y est plus grossier qu’à Fontainebleau, mais il est rare d’y avoir de gros cristaux incrustés comme c’est parfois le cas à Annot, du coup il est envisageable d’enchaîner plusieurs jours de grimpe d’affilée. La roche reste tendre et assez fragile, et il est vivement déconseillé de grimper en présence d’humidité : les prises risquent de casser, et ce même dans les passages maintes fois parcourus.

 

Le site n’est pas immense, même si les blocs sont concentrés. En suivant la ligne de crêtes, un marcheur mettra une bonne demi-heure à le traverser. Il est possible que la veine de grès se prolonge et n’ait pas été complètement exploitée. D’ailleurs elle resurgit plusieurs kilomètres au sud sur la route entre Teruel et Cuenca, mais cela ne se prête pas forcément à l’escalade : en dehors des secteurs connus, le rocher se présente souvent sous forme de falaises, trop hautes pour faire du bloc, avec de nombreuses strates horizontales qui ne permettent pas d’envisager des voies intéressantes avec corde, et comportant des zones de rocher rouge à trous, très esthétique, mais pulvérulent et donc inexploitable. C’est donc finalement sur les rochers qui jouxtent ces falaises, paraissant insignifiants vus de loin, que se concentre l’escalade : de près, ce sont des blocs qui font déjà parfois jusqu’à 6m de haut. Les réceptions sont généralement bonnes, on est loin des chaos de blocs granitiques type « moraine de glacier ». Parfois, il y a des passages à flan de falaise. Ce ne sont pas les plus beaux, car ils terminent en cul de sac.

Et puis il y a le cadre : une magnifique forêt de pins, accrochée sur la montagne au milieu de plateaux arides à perte de vue. Nous n’avons pas rencontré d’animaux sauvages, juste des oiseaux, assez drôles avec leur huppe. Ils s’approchent facilement des grimpeurs par curiosité « alimentaire » à condition de ne pas brailler en permanence. Il y a les vautours également, qui planent très haut. Leur présence est la cause de la fermeture d’un bon tiers du site pendant la moitié de l’année, soit du 10 janvier au 15 août : secteurs Psikokiler, Madriles, Madera, Peninsula. Dans ces conditions, il n’est pas judicieux d’envisager un voyage au printemps. Sachez que du respect de ces interdits dépend la pérennité de l’escalade sur le site. A propos il faut noter le comportement exemplaire des locaux : aucun ne se garait ailleurs que sur le parking principal, alors que cela oblige à marcher 15minutes pour se rendre au secteur sol, secteur se situant pourtant à 200m à peine de la route, là où il serait facile de stationner.

Quel que soit votre niveau, vous trouverez votre bonheur à Albarracin. Les passages les plus raides ne sont pas forcément les plus difficiles : les toits, « techos », du nom du même secteur, mais que l’on trouve un peu partout, sont souvent pourvus de gros trous crochetants. Les Espagnols semblent d’ailleurs très attirés par cette escalade plutôt physique, en départ assis, mais que je ne trouve personnellement pas des plus esthétiques car la gestuelle est peu variée et les blocs manquent d’ampleur et de luminosité au-delà de 60° de dévers. C’est un peu comme au pan : ce serait dommage de se focaliser sur ces blocs.

 

Ce secteur Techos est intéressant pour quelques passages sous la forme d’arêtes et de bombés en 6 et 7, en haut sur la droite,  à proximité du très dur Beautiful mind de Christian Core, 8B+. Dans cette zone une majorité de blocs pas très hauts mais assez concentrés et ludiques. En continuant au-delà on tombe sur le secteur Psikokiler, petit mais concentré, avec en point d’orgue le bloc du même nom en 7C qui mérite la cotation.

Psikokiler, 7C dans le secteur du même nom

 

Encore plus loin, le bloc isolé de la Klem’s traverse vaut le détour, petit 8A, difficile pour le commun des mortels, mais intéressant au moins pour admirer le paysage à proximité depuis le bord de la falaise.

 

Les secteurs dont les topos sont disponibles sont sûrement les plus intéressants : caillou de qualité, formes arrondies, peu de marche entre les blocs aux réceptions confortables, variété des niveaux, ensoleillement. Comme au secteur Sol si bien nommé. Le bloc Karmansia y est posé seul au milieu, et possède sur son pourtour une impressionnante concentration de passages de qualité de 6B à 7C.

Un 7B+ sur le bloc Karmansia au secteur sol : faites le tour…

 

Mais au-delà de la course au cotations, l’intérêt de ce secteur, et du site en général, est qu’on peut se faire plaisir sur des lignes raides et esthétiques sans être un cador de la discipline, grâce à une densité importante de bonnes prises. Au point d’ailleurs que les passages au dessus de 8A sont plutôt rares. Dans cette catégorie on trouvera l’excellent Campux, dans le petit secteur Masia, en face de Sol, de l’autre côté de la route. Même sans topo le bloc est plutôt facile à trouver, quand on sait que le Campux est la traduction de notre fameux pan Güllich : un passage en départ assis sur 5 mouvements, terminant par deux réglettes arrondies et ergonomiques dessinées sur mesure par dame nature.

 

Jeté sur un mur esthétique en 7C à côté de la Klem’s traverse /

essaye encore…

Le dernier mouvement de Campux, 8A : vous aimez les arquées ?

 

Plus proche du parking principal se trouve le secteur Arrastradero. Un peu ombragé, ce secteur prend plus l’allure d’un chaos de blocs, mais tous esthétiques et relativement peu exposés. Le 7A d’Esperanza accroche tout de suite le regard, à ne pas confondre avec une horreur de Fred Nicole pas du tout ici. Un mouvement dynamique sur réglettes, avec les pieds à plat qui mène à un rétablissement Bleausard. Dans ce style, les cotations sont à mon avis beaucoup moins sévères qu’à Fontainebleau, car les rétas sont éloignés du style « pan » qui prédomine ici, ce qui déroute les non initiés. Le départ assis est proposé 8B tout de même.

 

A deux pas en hauteur se trouve le secteur Peninsula, très convivial avec une vue magnifique et un bon ensoleillement. Un immense bombé sur plusieurs dizaines de mètres de large offre une dizaine de passages du 6B+ au 8A, dans un style toit puis réta. Vu le nombre élevé de mouvements des départs du fond et le repos total offert à mi parcours, difficile de donner des cotations bloc à ces passages. En face, une série de petits blocs offre une multitude de possibilités.

 

Tout n’a pas été dit. Le secteur Cabrerizo ne m’a pas semblé digne d’un grand intérêt : des passages au ras du sol, quelques lignes plus imposantes mais peu nombreuses. Au secteur Parking il y aurait quelques blocs intéressants, mais il me semble que c’est interdit. D’autres secteurs n’ont pas été visités, mais il s’agit parfois, comme à Terra Madera, de lieux difficiles à trouver, avec beaucoup de marche, pour seulement une dizaine de passages qui ne valent pas les secteurs plus proches. Nous nous sommes perdus en chemin, malgré les kairns jalonnant le parcours (appelés « hitos » ici). Peut-être à l’avenir d’autres perles seront découvertes ? J’ai profité de ce séjour pour brosser puis réaliser deux blocs magnifiques, mais relativement isolés. Il semblerait que les secteurs de qualité avec une concentration importante de blocs aient été déjà presque tous prospectés.

Autour de 6C en équilibre à Arrastradero avec un jeté déroutant en sortie

 

 

Variété de formes

 

El Gato, 8A en départ assis au secteur Madriles.

A l’arrière le tas de ronces qui cachaient un joyau

 

Ocre, nouveau 7B+à Techos, pas besoin de brosse métallique pour la première, le rocher était déjà propre et hyper compact

 

 

Vous pourrez aussi visiter le village, faire le tour des remparts et des musées, essayer les restaurants ou le bar à vins. Plus loin, Teruel propose également de beaux monuments et musées. Encore plus loin, il y a Cuenca avec ses magnifiques falaises aux allures de gorges de la Jonte et son village perché, à 120km par les petites routes (attention à la neige !). Madrid est à environ 3h30 et la côte avec Valence doit être à un peu plus de 2h.

J’oubliais, au « Molino del Gato », le bar des grimpeurs sous le pont, se trouve le livre d’or des bloqueurs, avec, au milieu de dessins obscènes, quelques infos sur l’escalade dans le coin. On a même vu des débuts d’équipement dans la gorge en amont du village, sur une grande falaise calcaire. Pour une prochaine fois peut-être…

 

Bonne grimpe !

 

Quelques infos :

* Escalar n°57 (nov-déc 07) : topo du secteur Peninsula

* http://www.boulderalbarracin.com/ le seul topo disponible : quelques approximations, bonne base mais à compléter et actualiser.

* « El gato » : 8A assis, à 200m de Psikokiler en prenant à ~90° du sentier principal à l’opposé du secteur. Bloc dans un corridor entre deux barres. 7B+ en départ debout (sans sauter), 7A+ un mètre à droite (Nieve) en départ sauté sur une épaule arrondie main gauche. D’autres possibilités à proximité.

* « Ocre » : 7B+ debout avec un petit saut pour les nabots, secteur Techos. Continuer sur le plateau pendant 100m après l’abri du « Tio Campano » (peintures rupestres), le bloc est sur la gauche.

 

 

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